Quelque chose de naturellement artificiel.
Ce qui surprend dans l’approche du paysage par Mïrka Lugosi c’est sa capacité
de percevoir plutôt que d’observer : elle ne dessine pas d’après nature mais
depuis son image prise au piège d’un miroir sans teint. A l’instar de Laurence
Sterne qui, avec son roman « a sentimental journey through France and Italy »
(1768), contribua à faire du récit de voyage un genre nouveau à la fin du 18ème
siècle, Mïrka Lugosi nous invite à un voyage où le minuscule, l’inhabituel et le
fugace prennent la place du répertoire classique de l’observation objective.
Le paysage selon Mïrka peut alors prendre l’aspect d’une matérialisation (plutôt
qu’une symbolisation) de l’inconnu. Jouant avec les formes capricieuses de la
nature, s’inspirant d’elle pour mieux la transfigurer, elle nous invite à un voyage
introspectif, comme si le paysage se déplaçait devant nos yeux et non le contraire.
Voyage immobile donc, merveilleux mais effrayant, d’une beauté sans joie,
profondément mélancolique mais terriblement exaltant. Tous les sentiments y
prennent place car l’espace des dessins de Mïrka a, semble t’il, la capacité de
se dilater à volonté comme la Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, plus
grande à l’intérieur qu’à l’extérieur, à peine quelques centimètres, mais cela suffit
à compromettre la vision rationnelle que nous avons du monde. Les dessins de
Mïrka Lugosi, et plus particulièrement ses paysages, ont cette fâcheuse habitude
de paraître plus grands que leur cadre. Ainsi dit elle que ses dessins sont à
mémoire de forme, contenus aux limites du papier mais, à l’image de l’univers,
en constante expansion. Si la dilatation de l’espace est l’une des préoccupations
majeures de Mïrka, c’est probablement parce qu’elle perçoit dans le spectacle
de la nature terrestre l’immensité de sa genèse. Elle nous livre son travail sans
aucune forme d’explication et sans mode d’emploi, de sorte que chacun fasse
son chemin de voyageur sentimental en instituant un rapport émotif avec l’œuvre
pour en saisir l’énergie. Le voyage quel qu’il soit a quelque chose d’initiatique,
celui auquel nous convie Mïrka Lugosi l’est à bien des titres ; à travers la gamme
éphémère des illusions, des apparences et des énigmes, il nous invite a saisir
la nature vraie de l’homme, d’un lieu, d’une civilisation tout aussi éphémère.
Gilles Berquet
Clamart, le 14 Septembre 2011